Lorsque deuil et maternité se côtoient

Alix Franceschi Léger, Psychologue clinicienne du Groupe Hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon s’est questionnée sur ce sujet si complexe qu’est deuil et maternité.

« Y-a-t ‘il un deuil ou des deuils ? Les circonstances où surgit le drame définissent-elles des deuils particuliers ? Tous les deuils sont-ils équivalents ?

Commençons par le plus difficile à percevoir, le plus caché et parfois le plus complexe à faire comprendre à l’entourage : le deuil qui accompagne les difficultés de procréation. Le grand public qui ne connaît pas la médecine de la reproduction lui associerait plutôt le mot « espoir ». Il faut, bien sûr, le garder toujours en tête. Bizarrement peut-être, vu de l’extérieur, c’est difficile quand on est plongé longtemps, plusieurs années parfois, dans le parcours d’AMP qui fait virer et revirer l’espoir au dés-espoir et réciproquement.

Le parcours d’AMP, en principe temps d’espoir, assombri par les échecs à surmonter jusqu’à l’obtention de la grossesse, peut devenir de déception en incertitude, le temps d’un parcours de deuils successifs.

Les années d’AMP sont des années d’alternance espoir/déception, efforts/ échecs, rudement vécues par les femmes. Elles se sentent incompétentes et perdent profondément l’estime d’elles-mêmes, allant jusqu’à penser parfois que leur vie pourrait s’arrêter puisque dénuée de sens, sans personne à qui transmettre.

L’absence de grossesse jointe à l’omniprésence de traitements répétés fait dire à une jeune femme : « j’attends un enfant depuis 3 ans ». Étrange résonance de l’expression « attendre un enfant ». Elle fait surgir une grossesse en creux, une maternité en attente. Le but à portée de main échappe sans cesse. Expression au combien paradoxale qui signifie aussi la persistance de l’espoir. Cet espoir à la fois ravageur et porteur de la puissance obstinée du désir d’enfant qui pousse à continuer les traitements.

Pour certaines, l’absence d’enfant est vécue comme un drame. L’état de tristesse et de vide qui s’ensuit ressemble à l’état de deuil. Comment faire le deuil d’un rêve d’enfant, après de si longs efforts, et vivre quand même ?
Les deuils successifs, si l’enfant ne vient pas, poussent au renoncement à procréer.
Renoncer, est-ce que cela signifie que le deuil est fait – pour ainsi dire le deuil final – ou qu’il commence réellement ? On peut se poser la question.

Quand nous associons deuil et maternité nous pensons tout de suite à la mère seule, sans le bébé qu’elle a perdu. C’est le domaine le plus connu, sujet éminemment sensible.

Lorsque je reçois en entretien de soutien des jeunes mamans affligées, muettes, sidérées par le choc de la mort de leur enfant (mort périnatale) elles sont dans l’incompréhension et le désespoir. Jamais elles n’ont pu imaginer une telle issue à leur grossesse, une partie d’elle-même a disparu, elles sont comme mutilées et cela ne se voit pas.
L’une d’entre elles a fait tatouer sur son cou le nom de la petite qui s’en est allée… L’autre garde une photo, une peluche, le bracelet de naissance … Boîte secrète, mi-tombe mi-boîte à bijoux, où brillent les preuves de l’existence de son bébé rendu plus proche d’elle encore par le manque infini que provoque sa disparition.
Manque d’autant plus cruel que, petit à petit son entourage oublie ou ne voit plus sa souffrance. Pour peu qu’un frère ou, pire, une sœur ait un bébé, elle ne sait plus comment faire, accablée de souffrance personnelle et de sentiments violents d’abandon et d’agressivité.

Il faudra beaucoup de patience, d’écoute attentive d’un discours balbutiant, presque sec, pour qu’elle se décide à parler petit à petit du drame d’une maternité coupée en plein élan, comme jetée dans le vide. Elle veut rejoindre son enfant, sa vie a perdu tout autre intérêt que celui d’essayer de le garder encore. Elle refait inlassablement le film du drame et bute toujours aux mêmes endroits.

Et son conjoint, le papa du bébé ? Mentionnons simplement la chape de solitude et de silence qui s’abat sur l’homme pendant ces minutes où toute l’équipe médicale est autour de la mère et de l’enfant. Les idées les plus terribles lui traversent l’esprit…pour être chassées par la réalité. Mais il en reste des traces qui, parfois, ne favorisent pas la parole au sein du couple, chacun restant pour un temps muré dans sa souffrance particulière.

Il nous reste à examiner ce qui se passe lorsque le deuil périnatal vient frapper un couple, une maman, après un long parcours d’AMP, ayant franchi soit des difficultés conceptionnelles soit des fausses couches à répétition.
Il y a là, je crois, une particularité.

Perdre un bébé, pour une femme qui a déjà traversé cette expérience, me semble exiger d’elle un surcroît de … ? De quoi ? Le mot « surcroît » suffit.

En effet, elle ne peut pas, comme sa compagne de douleur à la Maternité, se raccrocher le moment venu à l’idée de concevoir un autre enfant. Elle peut y penser, bien sûr, mais elle sait de quoi elle parle et ce qui l’attend.

Si, tout bien réfléchi, elle revient des mois plus tard au Centre de Fertilité, elle sentira l’attention du corps médical, de toute l’équipe, chacun ayant conscience de la cruauté de la situation.

Alors, que faire ? Parfois médicalement, le meilleur possible ne sera pas nouveau. Les traitements se répéteront dans la mesure où la femme et le couple les demandent et les supportent : on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise ! La nature travaille aussi et donne un enfant quand on ne l’attendait plus.
Cas de figure que chacun connaît, sans en comprendre le mystère.
Si elle ne revient pas l’équipe ne saura plus rien d’elle…

Recommencer encore, est-ce ne pas avoir fait son deuil ? Ou est-ce pour faire son deuil qu’elle recommence une dernière fois, pouvant ainsi se dire : « j’ai fait tout ce que j’ai pu » ?
Ne plus faire de traitement est-ce le signe d’un deuil en cours ? Et deuil de quoi ? De sa fécondité ? De sa grossesse ? D’un enfant ? D’un rêve de famille et d’un certain genre de vie ?
Rien n’est moins sûr.

Tous ces exemples, cette réflexion qui tourne autour du deuil, vous laissent peut-être entendre qu’en 30 ans de pratique j’ai dû me rendre à l’évidence : je ne sais plus très bien ce que ce mot veut dire.
C’est pourquoi je l’ai rapproché du mot « amour » . Il en sera du deuil comme du sentiment amoureux. Leur description comportementale nous laissera toujours en dehors de leur secret, tellement intime qu’il affecte le sujet même de l’inconscient, celui que nous ne maîtrisons pas et qui nous met en branle.

Il y a autant de deuils que de sujets humains. Aucune hiérarchie ne peut s’établir, surtout vue de l’extérieur. Certaines situations, plus cruelles apparemment que d’autres, permettront à une femme, un homme, un couple, de prendre la décision radicale qui ouvrira l’espace d’autres désirs, du désir de mener autrement sa vie.
Certains réagiront en s’enfermant dans le chagrin, plus rassurés par la douleur connue que par l’inconnu d’une vie à vivre comme ils ne l’avaient jamais pensée. »
Extraits de La lettre de Petite Émilie N° 51 – Octobre 2018 Association française qui vient en aide aux familles confrontées à une interruption médicale de grossesse et un deuil périnatal.

Mon accompagnement spécifique face au deuil

Journée internationale de sensibilisation au deuil périnatal

 

Le deuil périnatal bien qu’il soit si tabou est un deuil à part entière mais reste encore assez peu pris en compte. Selon la croyance populaire, les parents se remettraient plus vite de la perte d’un bébé qu’ils ont peu ou pas connue. Et pourtant…

La peine ne se mesure pas au nombre de semaines ou au vécu du bébé, mais à la grandeur du rêve que portaient en eux ses parents.

Dans notre société, on accorde peu de place au deuil et passé le choc du début, les parents sont souvent amenés très vite à ne plus pouvoir parler du décès de leur enfant car on leur demande déjà de passer à autre chose. Je trouve d’ailleurs les mots de Martine Batanian à ce propos très juste :

« Contrairement à ce que l’on pense, beaucoup de deuils ne se terminent pas de manière nette. Mais après un certain temps, l’entourage nous presse souvent de passer à autre chose. Si leur seuil de tolérance est atteint, ça ne veux pas dire que vous vous sentez mieux. Pour la plupart des blessures, c’est la même chose : on ne guérit pas, il faut se soigner constamment.  » 

Je trouve important de pouvoir s’accorder le droit de pleurer, de crier aussi fort et longtemps que l’on en a besoin.