Non à la dictature de l’optimisme, j’ai le droit d’être triste!

Marre de devoir toujours voir la vie en rose. On veut aussi pouvoir aller mal de temps en temps. C’est même parfois positif!

Optimiste ! (éd. Odile Jacob), Et n’oublie pas d’être heureux (éd. Odile Jacob), Développez votre optimisme et votre joie de vivre (éd. Albin Michel), Power Patate (éd. Marabout)… Sur les rayonnages des librairies, on ne voit qu’eux! Ces livres rose bonbon qui nous promettent la frite, la pêche, la banane en toute circonstance. Certes, on a compris l’idée (et du même coup le filon): plus la société va mal, plus le discours positif s’installe, tel un mantra contra-phobique.

Mais est-ce vraiment une riche idée ? Est-ce à ce point bénéfique de baigner dans une ambiance perpétuellement guillerette? Faut-il toujours simuler le plaisir de vivre? Non, répondent les experts. Car pour ceux qui n’y parviendraient plus (ou pas), ce serait le plus sûr moyen de sombrer dans la vraie déprime.

Pouvoir déprimer tranquille

Yes, on va enfin pouvoir pleurer tranquille. D’autant que l’Américaine Julie Norem, psychologue, professeure au Wellesley College (Massachusets) et auteur du récent The Positive Power of Negative Thinking (le pouvoir positif des pensées négatives), enfonce le clou: selon elle, le bonheur à marche forcée causerait « plus de souffrance encore que le pessimisme même ». Traduction: quand tout le monde positive en chœur, c’est le sentiment d’exclusion qui menace.

D’ailleurs, réfléchissez. Autour de vous, quelques esprits positifs (mais chagrins) ne se sont-ils pas un jour interrogés à haute voix sur l’origine de votre maladie? Ne vous ont-ils jamais demandé s’il ne fallait pas chercher du côté de votre petit fond de noirceur l’une des causes de votre infortune? N’ont-ils pas sérieusement posé l’hypothèse que vous auriez pu vous fabriquer vous-même votre cancer et qu’il serait grand temps que vous mettiez un peu les chances de votre côté, maintenant ?! Et, du coup, ne vous êtes-vous pas sentie obligée d’adopter la positive attitude? Ah! Vous voyez…

Même en pleine déprime, rester belle et glamour

Notre amie Maryse Vaillant*, récemment disparue, s’offusquait justement de ce qu’elle nommait la « théorie de la double peine »: malade et coupable, actrice de son propre malheur car insuffisamment positive. Or, si la dépression latente ou le stress tapent peu ou prou sur le système (immunitaire), il n’est pas prouvé que la conscience du caractère tragique de la vie soit aussi cancérigène que le tabac et l’alcool!

Pourtant, certains semblent y croire. Et ne s’arrêtent pas là. Quand la maladie frappe, le discours cogne aussi:  » il va falloir te battre, ma fille, y croire. Rester positive, ne pas baisser les bras ». On vous veut warrior, conquérante.

L’obsession de l’optimisme,
une manière
de « photoshoper » l’existence

Bien sûr, ces injonctions sont au fond bienveillantes. Elles traduisent l’angoisse des proches, leur impuissance et leur compréhensible souci de nous savoir rassemblée, motivée. Mais voilà comment, insidieusement, on se persuade de ne plus s’écouter. Voilà comment on s’enferme soi-même dans un déni de réalité. Déprimer, c’est voir la vie en bleu.

Le philosophe Martin Steffens, auteur de La Vie en bleu (Marabout), déplore cet effacement de la lucidité: « Il y a une certaine tendance, à travers la pensée positive, à penser que si l’on occulte l’épreuve, elle ne nous atteindra pas. » Dans cette obsession de l’optimisme, le philosophe voit une manière de « photoshoper » sa propre existence, comme si, par un tour de passe-passe, on pouvait en gommer les irrégularités, les erreurs.

Mais attention, selon lui, au retour de manivelle: « À force de ‘‘penser positif’’ en toutes circonstances et d’attendre benoîtement que le meilleur se produise, on en vient à être déstabilisé par le moindre petit grain de réel. » On ne sait plus anticiper, en clair. « Si vis pacem, para bellum », confirme d’ailleurs la sagesse populaire.

Si tu veux la paix, prépare la guerre

Donc intègre cette maxime dans ton schéma de pensée. Sans pour autant n’envisager que le pire. Et c’est là toute la difficulté. En ce sens, on peut distinguer le pessimiste nihiliste du « pessimiste actif, qui travaille à améliorer son sort ». À en croire notre philosophe, la couleur de ce dernier serait plutôt le bleu: « À mes yeux, le bleu correspond à la juste articulation au réel car il évoque à la fois l’espérance et le ‘‘bleu de travail’’ (le sens de l’effort), les ‘‘bleus à l’âme ». »

Bref l’incontournable lot de nos petites souffrances quotidiennes, en somme. Voir la vie en bleu, ce serait donc voir la vie en face et chercher en soi les ressources parfois cachées pour mieux la traverser. Au contraire, poursuit le philosophe, « le rose est une “demi-couleur’’, fabriquée, qui n’appartient pas à la palette des teintes primaires. Elle enjolive le réel, c’est vrai. Mais quand vous vous retrouvez face à vos difficultés (comme la maladie), vous risquez de tomber de haut ! ». Donc de passer sans transition du tout rose au tout noir.

Sophie Carquain

*Psychologue clinicienne, auteure de nombreux ouvrages, dont Voir les lilas refleurir (éd. Albin Michel).

http://www.rosemagazine.fr/magazine/psycho-sexo/article/cancer-tristesse-flancher-dictature-optimisme

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