Accompagner le deuil et rendre hommage au défunt

En cette période particulière réservée à la commémoration de nos morts, j’aimerais mettre en lumière un métier pas comme les autres : le thanatopracteur qui prépare et prend soin du corps du défunt avant son dernier voyage. Il joue un rôle primordial aussi pour les familles en prenant part indirectement au processus de deuil.

«Je ne travaille pas sur les vivants, mais pour les vivants, confie, avec simplicité et détachement, Sébastien Bonnafous, et surtout j’accompagne du mieux que je peux les proches.» Dès que son téléphone sonne, il se rend chez les défunts ou en chambre funéraire pour réaliser un soin de conservation – «partie la plus technique» – d’hygiène et de présentation. «Parfois, une simple toilette suffit. On coiffe la personne, on la maquille légèrement», explique-t-il. Le corps sera simplement installé sur un lit réfrigérant. Mais à la suite d’une longue maladie, d’une chimiothérapie, d’un suicide, d’un accident de la circulation, les soins deviennent plus techniques. Si souvent une heure suffit pour réaliser la totalité des soins, Sébastien Bonnafous peut parfois passer plusieurs heures, voire plusieurs jours, à préparer le défunt. Et ce, toujours «en s’attachant aux petits détails». Un travail minutieux «qui doit frôler la perfection. Il faut que la famille ressente que je me suis occupé de son proche avec toute l’attention possible, que j’ai apporté tout ce que je pouvais apporter», complète le thanatopracteur dans l’article de la depeche.fr

Cela me fait penser à ce magnifique film

où l’accompagnement au grand voyage est sublimée avec un profond respect et beaucoup de bienveillance sur cet art délicat qu’est le rituel de mise en bière au Japon.

Dans ses souvenirs, Axel a toujours été fasciné par le corps indique le thanatopracteur dans l’article de France info. « J’ai toujours été très intéressé par l’anatomie, le corps humain. Je voulais travailler dans ce domaine ». Après un stage en maison de retraite lors de ses études médicales et sociales, il a le déclic. « Une fois, un résident est décédé et je l’ai porté en chambre mortuaire. Je ne savais pas ce qu’il se passait ensuite. On m’a dit que les pompes funèbres allaient s’occuper de lui. » Axel se renseigne, navigue de forum en forum pour découvrir « les métiers de la pompe », et tombe sur des discussions sur la thanatopraxie. « J’avais déjà mis cette idée dans un coin de ma tête, mais là, je me suis décidé. Je trouvais que l’embaumement était vraiment un travail passionnant, qui permettait d’accompagner les familles dans le deuil en toute discrétion. » 

« Je me concentre sur mes gestes, je suis seul dans le calme, le silence, face à un corps que je cherche à embellir au mieux. Ça m’apaise vraiment. »

Malgré ces rares moments de solitude, Axel prend beaucoup de recul sur son métier, et se fiche des clichés : « Non, je n’ai pas de fascination morbide. Le problème c’est que la mort est taboue dans notre pays, on évite d’en parler. On célèbre les morts de manière assez sinistre, ce n’est pas comme au Mexique ! »

La mort est un tabou que l’on a du mal à briser, 59% des français pensent « souvent » ou « de temps en temps » à la mort avec le lot de questions qu’elle soulève sans forcément oser en parler. Aussi le dernier numéro de Ça m’intéresse propose 200 questions et infos étonnantes sur la mort.

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Retrouvez à cette occasion un podcast audio en 5 épisodes, « Ma vie avec la mort » : 5 personnes qui côtoient la mort au quotidien, ils nous expliquent leur métier, la raison de leur choix et ce que leur profession a changé dans leur rapport à la vie et prochainement l’interview de Mélodie, thanatopracteur.

Journée internationale de sensibilisation au deuil périnatal

 

Le deuil périnatal bien qu’il soit si tabou est un deuil à part entière mais reste encore assez peu pris en compte. Selon la croyance populaire, les parents se remettraient plus vite de la perte d’un bébé qu’ils ont peu ou pas connue. Et pourtant…

La peine ne se mesure pas au nombre de semaines ou au vécu du bébé, mais à la grandeur du rêve que portaient en eux ses parents.

Dans notre société, on accorde peu de place au deuil et passé le choc du début, les parents sont souvent amenés très vite à ne plus pouvoir parler du décès de leur enfant car on leur demande déjà de passer à autre chose. Je trouve d’ailleurs les mots de Martine Batanian à ce propos très juste :

« Contrairement à ce que l’on pense, beaucoup de deuils ne se terminent pas de manière nette. Mais après un certain temps, l’entourage nous presse souvent de passer à autre chose. Si leur seuil de tolérance est atteint, ça ne veux pas dire que vous vous sentez mieux. Pour la plupart des blessures, c’est la même chose : on ne guérit pas, il faut se soigner constamment.  » 

Je trouve important de pouvoir s’accorder le droit de pleurer, de crier aussi fort et longtemps que l’on en a besoin.

De la dictature du bonheur au déni de la réalité

« C’est fou de voir à quel point les instagrameurs montrent une vie naturelle et très parfaite en même temps. Ça teinte notre façon de concevoir une vie réussie, il n’y a pas beaucoup de place sur les réseaux sociaux pour des choses qui ne sont pas « parfaites », qui ne représentent pas une forme de perfection. »

Ce documentaire très édifiant de Marie-Claude Élie-Morin que vous pouvez retrouver dans son intégralité ici permet de faire le point sur ce qu’est réellement le bonheur.

Nous passons notre vie à courir après et pourtant parfois il est juste là mais on ne le voit pas.

A force de se comparer constamment aux autres pour être le meilleur et paraître si parfait, si positif, nous pouvons passer à côté de qui nous sommes.

La pression sociétale est telle que nous devons être performant en tout, nous n’avons pas le droit d’échouer. Et pourtant la vie est remplie d’épreuves qui peuvent nous faire basculer à tout moment.

Mais pouvons-nous nous autoriser à avoir le droit d’être triste et de pouvoir avoir peur avec l’injonction de devoir à tout prix « être heureux » ou de « positiver ». Les émotions négatives sont malheureusement devenues tellement taboues socialement qu’il n’y a pas toujours la place pour oser les exprimer dans notre société.

Cet excès de pensées positives est dangereux, il nous coupe de nos émotions négatives qui sont fondamentales et ont une raison d’être : nous alarmer pour prendre soin de nous.

Donc à défaut de guérir, comme certains ouvrages le prônent, les pensées positives peuvent nous entraîner dans une spirale bien plus dangereuse, celle du déni.

Il faut accepter de pouvoir voir la réalité telle qu’elle est si imparfaite pour trouver le bonheur car ce bonheur de perfection n’est qu’illusion.

La psychologue Susan DAVID explique justement avec brio le pouvoir de la vérité émotionnelle face au pouvoir destructeur du déni.

« Des émotions normales, naturelles sont vues comme bonnes ou mauvaises. Être positif est devenu une nouvelle forme de correction morale. On dit automatiquement à ceux atteints de cancer de rester positifs. Aux femmes, d’arrêter d’être en colère. Et la liste continue. C’est une tyrannie. C’est une tyrannie de positivité. »

Collages : des petits papiers pour recoller sa vie

Images découpées dans les magazines, photos, morceaux de tissus : les collages sont à la fois des créations artistiques et les miroirs de nos états d’âme. Ils peuvent aussi être des alliés pour nous soutenir dans la traversée des moments difficiles. Quatre “colleuses” se racontent en commentant leur composition.

Des collages miroirs

Pour certains, ils évoquent un hobby d’adolescent. Pour d’autres, les créations raffinées de Christian Lacroix, Peter Beard ou Max Ernst, quelques-uns des nombreux artistes qui s’y sont adonnés. En réalité, les collages sont tout cela, et bien plus encore. Utilisés depuis longtemps en art-thérapie ou dans les services psychiatriques, ils s’imposent partout et accompagnent la vogue des journaux intimes et carnets de voyages. Dans la formation, le coaching individuel, les séminaires en entreprise, etc., on « colle ». Là où l’on se cherche, là où l’on veut comprendre ses désirs cachés, exprimer ses difficultés relationnelles, on « colle ».

On s’en sert également en complément d’une thérapie : ainsi, qui se lance dans des séances de rêve éveillé ou de « dialogue intérieur » peut se voir proposer par son psy quelques exercices de ce type à faire à la maison, dans le but d’approfondir une découverte sur soi ou d’aller plus loin dans son histoire.

Les collages sont à la fois des miroirs de nos états d’âme et de formidables supports pour les exprimer. « Ils nous donnent à voir une représentation de qui nous sommes à un moment donné », résume Luc Favard, « colleur » depuis plus de douze ans, féru de psychologie transpersonnelle, et passionné par les recherches de Jung. Cet artiste – « et non psychothérapeute », précise-t-il – vient de mettre en place un atelier ouvert à tous.

Dans l’ambiance calme et chaleureuse d’une ancienne serrurerie de Saint-Mandé (Val-de-Marne), sur fond musical subtil, dans une odeur de colle, avec partout des piles de magazines et revues en papier glacé, il a créé les conditions pour que chacun puisse plonger en soi et faire naître une production singulière. Une atmosphère ludique, concentrée, d’où émergent des moments de doute et d’hésitation, parfois des élans de joie face à l’œuvre personnelle qui s’accomplit.

« Beaucoup de participants sont profs ou travaillent dans la relation d’aide. Ils sont en recherche », commente Luc Favard. Par exemple Irène, 32 ans, qui, depuis des années, découpait dans les magazines les images qui la touchaient sans savoir qu’en faire : « Je ne pensais pas être capable d’arriver à ça ! » s’exclame-t-elle en terminant son collage. Ou Angèle, 54 ans (voir son témoignage plus bas), qui fait des compositions pour les offrir au moment des naissances, des mariages… Luc Favard relance la réflexion des participants, commente le choix des couleurs, la structure qui se dessine. Jamais il n’interprète. Chacun peut ainsi s’approprier ses propres découvertes, laisser reposer les messages qu’il croit lire sur sa planche, un travail intérieur de prise de conscience se fait de toute façon. S’il n’est pas vraiment un art, le collage s’en rapproche quand il « rend visible ce qui était de l’ordre de l’invisible » selon la définition du peintre Paul Klee : « Regarder un collage nécessite de prendre du recul – de haut, et de tous les côtés – afin de se laisser décrypter… comme la vie. »

Les vrais adeptes l’utilisent de façon quasi « hygiénique » : « J’en ai toujours un en cours sur ma table de travail, avoue Luc Favard. Et si je n’en fais pas pendant quelque temps, je me sens mal dans ma peau. » Outil thérapeutique, loisir réparateur ou démarche artistique ? Peu importe, puisque dans tous les cas, il apporte.

Témoignages

Pascale, 42 ans, antiquaire
Revenir à l’essentiel
« Je me suis inscrite à un atelier de deux jours. Quand je suis arrivée, je me sentais déchirée entre plusieurs dimensions de ma vie : avoir du temps pour moi, pour mon fils, mon travail, mon couple, ma famille… En commençant à découper des images, je me suis demandé : “Que dois-je faire passer en premier ?” Bizarrement, je ne découpais que des photos rouges ou vertes… Je m’apprêtais à faire deux tas, quand j’ai réalisé que la chambre à coucher que je partage avec mon compagnon est décorée en rouge et vert. J’ai eu un déclic. Mon couple, notre histoire d’amour, tout le chemin parcouru ensemble… Je me suis rappelé que, cette année, nous fêtions nos dix ans de mariage et que nous n’avions rien prévu pour le célébrer.

J’ai commencé à disposer les photos en y pensant. Peu à peu, l’idée que ce collage pouvait s’apparenter à un autel, une façon pour moi de célébrer ce lien, s’est imposée. J’ai ajouté des photos : du jour de notre mariage, de notre petit garçon déguisé en Africain, de bâtons d’encens… Puis, j’ai collé des cœurs en strass rouge. Tout en réalisant cette planche, je sentais monter en moi la profondeur de mes sentiments. L’essentiel m’était rappelé. »

Fatima, 47 ans, infirmière
Traverser un deuil
« C’est un collage de colère. Il y a quelques années, j’ai perdu mon frère aîné que j’aimais beaucoup. Il est mort d’un infarctus, soudainement. Je me suis retrouvée en état de choc… Il m’a fallu du temps pour que je me remette à faire des collages, une activité que j’avais pratiquée en complément d’une thérapie et qui m’apportait beaucoup jusque-là. Cela impliquait pour moi de “descendre” dans des zones très douloureuses, j’appréhendais. Puis, petit à petit, j’ai recommencé.

Le collage m’a aidée à comprendre que la traversée du deuil n’est pas linéaire : on passe de la colère au chagrin en quelques jours. Ça désoriente beaucoup. J’ai construit celui-ci avec des images d’écartèlement, de déchirure. Je me sentais comme la fille par terre, en bas à gauche, sous la patte d’un cheval. J’étais écartelée entre la nécessité de continuer à vivre et l’envie de mourir pour rejoindre mon frère. “Comment vais-je faire ?” se lamente la femme en blanc. Mais dans un coin, on aperçoit la lueur rassurante de la bougie, et il y a ce visage penché de profil…

Je pense qu’il représente la “colleuse”, cette part qui prend du recul pour regarder ce qui se passe en soi. C’est en cela que la série de collages que j’ai réalisée pendant ces mois de deuil m’a aidée : j’ai pu traverser mes émotions sans me laisser submerger par elles. »

Angèle, 54 ans, éducatrice
Guérir d’une tragédie familiale
« J’ai vécu toute mon enfance avec les fantômes de six oncles et tantes morts en camp de concentration. Mes parents étaient très dépressifs, et moi, j’avais l’impression de ne pas pouvoir dire cette souffrance. J’ai découvert le collage dans le cadre d’une formation professionnelle. Peu à peu, les images que je découpais ont remplacé les mots qui ne me venaient pas. J’ai réalisé des collages qui ne “parlaient“ que de la Shoah et j’ai eu besoin d’agir, de savoir. J’ai entamé un gros travail de recherche sur la déportation juive à Champigny-sur-Marne, d’où était partie ma famille.

Puis, en août dernier, j’ai réalisé ce collage. Je l’ai intitulé “Ici et là-bas”. Il marque la séparation entre moi, qui suis de l’autre côté, en bas, et eux, qui sont partis dans le camp, représentés en haut. J’y ai placé de l’espoir, de la vie, avec un petit peu d’herbe verte en bas à gauche. Les rails symbolisent aussi cette distance entre nous. L’homme sans visage m’évoque l’idée de ne plus être envahie par tous ces morts… J’ai pu, grâce à ce travail, laisser partir ces fantômes vers leur destin. Je suis sortie de la fusion et de la confusion avec les autres générations. »

Ann, 51 ans, art-thérapeute
Donner forme à ses désirs
« J’utilise ce collage comme une planche de “travail”, il me rappelle tout ce que je veux voir arriver dans ma vie. Je l’ai accroché dans ma penderie : dès que j’ouvre la porte, je le regarde et “j’absorbe” ce qu’il contient. Il y a vingt ans, j’ai lu le livre de Shakti Gawain, Techniques de visualisation créatrice (J’ai lu, 2001). dans lequel elle suggère de faire sa “carte au trésor”, une composition contenant tous nos rêves secrets… Beaucoup d’événements que j’avais imaginés se sont accomplis. J’ai même découvert le sens de certaines images auxquelles je n’en donnais a priori pas. Ainsi, à la veille d’un voyage, j’ai collé une photo de deux mains jointes.

Quelques semaines plus tard, je commençais une histoire d’amour avec un magnétiseur qui guérissait justement avec ses mains. En haut à droite, j’ai écrit en suédois, ma langue natale : “Enfin, j’ai du succès”, et je me suis représentée dans un atelier ouvert sur un jardin, car je cherchais un lieu comme ça pour travailler ma peinture. Il y a quelques semaines, j’ai eu une proposition pour partager un local. La pièce donne sur une petite cour. Je crois que, une fois de plus, ce dont j’ai rêvé est en train de se manifester. »

A faire seul(e)

Pour réaliser votre collage

– Réunissez les fournitures dont vous aurez besoin : feuilles de papier épais, ciseaux, cutter, colle, pastilles amovibles (Patafix), piles de journaux, magazines, photos personnelles, cartes postales, etc.

– Prévoyez un long moment de disponibilité totale (au moins deux heures).
Favorisez calme mental et état de relaxation, et feuilletez des magazines en découpant sans réfléchir les images, les photos et les mots qui vous touchent.

– Disposez les éléments découpés sur une feuille. Commencez par les fixer avec les pastilles amovibles. Puis, lorsque vous êtes sûr de votre choix, collez-les. Vous sentirez intérieurement lorsque votre collage sera terminé… Si, à un moment, vous êtes bloqué dans votre inspiration, laissez-le reposer. Vous trouverez souvent l’image qui vous manque dans les jours qui suivent.

– Datez votre collage. Vous pouvez le montrer et parler avec des proches de ce qu’il vous évoque, ou écrire vos impressions.


Boris Cyrulnik : « Ce qui peut aider un jeune à trouver sa voie, c’est son pouvoir de rêve »

Ne pas se précipiter, rêver, voyager…

LE MONDE | • Mis à jour le | Propos recueillis par Laure Belot

Pour préparer ses événements O21/s’Orienter au XXIe siècle qui se sont déroulés de janvier à mars et destinés aux lycéens et étudiants, Le Monde a interrogé des entrepreneurs et penseurs du monde entier sur leur parcours, leur vision de l’avenir, et les enseignements à en tirer pour aider les jeunes à trouver leur voie. Parmi eux, le psychiatre Boris Cyrulnik, auteur notamment d’Un merveilleux malheur (1999) et d’Ivres Paradis, bonheurs ­héroïques (2016), tous deux parus chez Odile Jacob.

Nombre de jeunes se sentent sous pression pour trouver leur voie. Comment les aider ?

Le problème est que l’on fait sprinter nos jeunes, et ces jeunes, en sprintant, se cassent souvent la figure. Après le bac, ils s’orientent trop vite, alors qu’ils ne sont pas encore motivés. Ils s’inscrivent dans n’importe quelle fac, et la moitié d’entre eux vont échouer. Ils vont alors être humiliés, malheureux, à l’âge où l’on apprend neurologiquement et psychologiquement à travailler. Le risque est, alors, qu’ils se désengagent, surtout les garçons, qui décrochent plus que les filles.

Or, ce qui peut aider un jeune à prendre sa voie, c’est son pouvoir de rêve. Il faut ensuite se réveiller, bien sûr. Le rêve mène au réveil. Mais si un jeune arrive à rêver et à se mettre au travail, il pourra prendre une direction de vie.

Que préconisez-vous ?

L’espérance de vie a follement augmenté. Une petite fille qui arrive au monde aujourd’hui a de forte chance d’être centenaire. Alors si, après son bac, elle perd un an ou deux, qu’est-ce que ça peut faire ? Ces deux années-là, justement, certains pays, en Europe du Nord par exemple, ont décidé d’en faire une période sabbatique. Ils ont institué un rite de passage moderne. Les jeunes partent à l’étranger, ils ne sont pas abandonnés mais autonomes. Quand ils reviennent, ils ont appris une langue, ont eu des expériences et ont réfléchi à leur choix de vie. Ils s’inscrivent alors dans des cursus et apprennent un métier. Il y a très peu d’échecs, alors qu’il y en a énormément pour ceux qui se précipitent vers les universités.

Cette approche existait d’ailleurs en France pour les garçons : au XIXe siècle, ceux-ci partaient faire le tour de la France, les plus ­petits en groupe de deux ou trois, avec un ­bâton et un baluchon à l’épaule, pour aller chercher des stages.

Seuls 44 % des diplômés de grandes ­écoles veulent travailler dans une grande entreprise. Pourquoi ce rejet ?

A l’époque où le travail apportait la certitude, on acceptait l’ennui, la contrainte, on acceptait même la soumission à une hiérarchie. Il fallait avoir un travail, quel que soit le travail. Toutes les sociétés se sont construites dans la violence : violence des frontières, des guerres… Dans un contexte chaotique, l’entreprise a pu être le lieu de la sécurité et du sens, c’était la direction de vie que l’on prenait. Un lieu où l’on était étayé par les autres, par les lois, ce qui était une véritable évolution par rapport au système protecteur de l’aristocratie ou des mines, par exemple.

Quand une rue est dangereuse, une personne va se sentir bien chez elle, mais quand la rue est une fête, cette même personne va s’y ennuyer. Le même raisonnement s’applique à l’entreprise. Quand la société est dangereuse, je suis bien dans l’entreprise. Quand j’ai milité pour faire que la société soit moins dangereuse, j’ai envie de tenter mon aventure personnelle ailleurs.

Aujourd’hui, alors que la personnalité des jeunes s’épanouit – pour les garçons et encore plus pour les filles avec cette révolution culturelle ­féminine stupéfiante en deux générations –, l’entreprise devient une contrainte. Ces jeunes n’acceptent plus la soumission, la répression qu’impose la vie dans ces organisations.

Certains jeunes hésitent entre un chemin balisé et un autre, plus « fun » mais plus ­risqué. Faut-il forcément choisir ?

Je pense qu’on n’a pas le choix entre le plaisir de vivre et l’austérité d’apprendre, les deux sont associés. Un jeune qui se précipite dans le plaisir va payer ensuite le prix de cette satisfaction immédiate.

Il faut être capable de moments d’austérité, de moments où l’on retarde le plaisir de façon à pouvoir acquérir des connaissances pas toujours très amusantes. L’équilibre à trouver est comme le flux et le reflux : c’est l’alternance entre les deux qui donne le plaisir et la solidité de vivre.

Quant à la notion de prise de risque, elle varie avec l’âge : si elle constitue un danger aussi bien pour les enfants, avant l’adolescence, que plus tard, quand on arrive à un âge avancé, entre ces deux moments de la vie, c’est l’absence de prise de risque qui est un danger. Car comment, autrement, donner un sens à son existence ?

Pas simple pour les jeunes de faire des choix si, comme on l’annonce, 65 % des métiers de demain n’existent pas encore…

C’est vrai, on ne sait pas ce qui nous attend. Dans ma génération, nous n’avions pas beaucoup de choix. Les conditions matérielles étaient très difficiles, mais les conditions psychologiques étaient, elles, beaucoup plus simples. Moi, je savais que, si je travaillais, je deviendrais un homme libre. Donc, si j’étudiais, si ­j’apprenais, j’aurais la totale sécurité. On ne peut plus dire ça aujourd’hui.

Quand j’étais gamin, le message était clair : « Fais comme papa. » Maintenant, excepté les enfants d’enseignants, les jeunes n’exercent plus le même métier que leur père. Ils n’ont plus cette étoile du berger qui était pour nous à la fois une orientation et une contrainte. Soit elle nous convenait, et c’était magnifique. Soit elle nous déplaisait et, dans ce cas-là, on pouvait toujours se dire que c’était « la faute de papa ».

Désormais, les jeunes ont toutes les libertés. C’est angoissant, car ils deviennent coauteurs de leur destin. Cela les oblige à faire preuve de créativité. Il y a là une véritable révolution ­culturelle !

Et vous, comment avez-vous eu le déclic pour devenir psychiatre ?

J’ai été très tôt atteint d’une délicieuse maladie : la rage de comprendre. Cela s’explique par mon histoire et mon appartenance à la génération d’avant-guerre. Je suis né en 1937. Ma ­famille a disparu à Auschwitz. J’ai moi-même été arrêté quand j’avais 6 ans et demi, et j’ai réussi à m’évader. Cela m’a amené très jeune à me demander comment il était possible que toute une partie de la population veuille en assassiner une autre. Cela me paraissait fou, ­incompréhensible. Je ne pouvais me sentir bien que si je cherchais à comprendre.

Il n’y a donc pas eu un déclic, mais mille pressions, mille déclics qui m’ont gouverné depuis mon enfance. Le désir de comprendre, de rencontrer, m’a orienté vers la médecine et la psychologie. J’ai été gouverné un petit peu comme quand on est jeté dans un torrent. On met la main, on baisse la tête, on coule, on ressort.

Pourquoi accepter de témoigner, ­dans le cadre d’O21, pour aider les jeunes à trouver leur voie ?

L’évolution se fait toujours par catastrophe, qu’il s’agisse de la société ou de la biologie : les catastrophes obligent à réorganiser le vivant pour reprendre un autre type d’évolution. C’est la définition de la résilience. Après la guerre de 1940, il a fallu tout recommencer, tout reconstruire. Aujourd’hui, notre société connaît à nouveau une période de chaos, même s’il ne s’agit pas d’une guerre classique.

J’ai débuté ma vie en subissant un langage ­totalitaire, et jamais je n’aurais pu penser que j’arriverais au dernier chapitre de mon existence en en voyant réapparaître un autre. Nous n’avons pas le choix : nous devons inventer une nouvelle société, une nouvelle manière de vivre ensemble. Et ce sont les jeunes qui vont inventer, avec nous, cette nouvelle société. Ce sont eux qui vont entrer dans l’arène en commençant une carrière professionnelle.

«Le poids en moi diminue au fur et à mesure que le pot de peinture se vide»

Peindre, danser ou jouer pour mieux se porter, c’est possible. Les art-thérapeutes sont aujourd’hui environ 160 en Suisse romande. Le patient se tourne vers l’un ou l’autre des disciplines en fonction de son ressenti et de ses besoins.

Pendant une demi-heure, au milieu d’une salle, on travaille en silence, à côté d’une étagère remplie de matériel. Un cours de dessin? Non, une séance d’art-thérapie. «Découpage, crayon gris, peinture: les patients sont d’abord obligés de faire un choix», explique Marine Métraux, présidente de l’Association professionnelle suisse des art-thérapeutes. La discipline vient du monde anglo-saxon: «Dans les années 1950, on l’utilisait aux Etats-Unis et en Angleterre, avec des soldats. On avait compris que créer pouvait aider.»

Des œuvres jamais exposées

Céramiste à l’origine, Marine Métraux se sert des arts plastiques pour aider ses patients. Après une discussion en début de séance, c’est le moment de créer, sans directives ou sur une thématique qui fait écho à un besoin. «L’art-thérapeute reste à l’écart et observe. Quelque chose se passe, c’est un peu magique.» Suit un échange autour de l’œuvre réalisée: «On s’appuie sur ce qui a été fait, mais ce n’est pas de l’interprétation. On encourage la personne à parler de son ressenti.» Le résultat ne sera pas jugé, ni exposé. C’est le processus de création qui compte.

Qui sont les patients des art-thérapeutes? Marine Métraux mentionne des personnes en burn-out, en dépression, ou encore souffrant d’Alzheimer. Les profils sont divers. Parmi eux, Sophie *, Vaudoise de 22 ans, étudiante en décoration. Depuis ses 16 ans, elle pratique l’art-thérapie. «J’avais été victime de rejet de la part des autres, j’étais très isolée, et je gardais tout ça pour moi.» La jeune femme a aussi un grand intérêt pour l’art depuis qu’elle est toute petite: «C’était une évidence pour moi de me tourner vers cette discipline pour m’exprimer et me sentir mieux.»

Du soin à la profession

«C’était comme si le poids que j’avais en moi diminuait au fur et à mesure que le pot de peinture se vidait.» Sophie se retrouve ainsi dans ce concept: «J’arrive davantage à créer des images qu’à mettre des mots sur ce que je ressens. Et on est libre de créer ce qu’on veut, il n’y a rien de faux tant que ça vient de soi.» La jeune femme se sent donc valorisée et détendue ensuite, «comme après le sport». Les séances n’ont fait que confirmer sa passion pour l’art, jusqu’à l’amener à en faire son métier aujourd’hui, à travers la décoration.

Mais l’art-thérapie, ce n’est pas que du dessin ou de la peinture. Il y a quatre autres spécialisations: la thérapie par la danse, la musique, la parole et le drame et, enfin, intermédiale, qui combine plusieurs de ces thérapies à la fois.

Et la dramathérapie?

«Au début de la séance, on demande au patient de raconter ce qui l’amène, en utilisant notamment de petits objets, comme une maison ou un Playmobil.» Anne-Cécile Moser, comédienne et metteuse en scène, est aussi dramathérapeute. Sa spécialité, proche du théâtre, est la thérapie par la parole et le drame. «On va par exemple proposer au patient de jouer le rôle d’un personnage qui entre en résonance avec son problème», raconte-t-elle. But de l’exercice? «Exprimer ses émotions pour mieux les intégrer dans son quotidien, s’affirmer et avoir confiance en soi.»

Les séances se font aussi en groupe. Anne-Cécile Moser a travaillé avec des jeunes qui ont des troubles du comportement. Une activité qui semble leur faire du bien: «Je ne suis pas médecin, je ne donne pas de diagnostic, je ne guéris pas. Mais j’aide ces jeunes à réaliser à travers le jeu qu’ils sont capables de raconter une histoire cohérente ensemble et de s’écouter entre eux.»


* Prénom d’emprunt.

Julie Eigenmann  Publié lundi 30 avril 2018

https://www.letemps.ch/societe/poids-moi-diminue-fur-mesure-pot-peinture-se-vide